Les CAF ne fixeront pas les pensions alimentaires.(Un aspect minime de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice )

Véronique Pigeon avocate

15/01/2018

Le projet de loi réformant la Justice présenté par Nicole BELLOUBET et approuvé par les députés le 18 février 2019  prévoyait que les CAF (Caisses d’Allocations Familiales) pourraient « délivrer des titres exécutoires portant exclusivement sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, en application d’un barème national ».

Ce texte était prévu pour s’appliquer à titre expérimental et pour trois ans dans un certain nombre de départements.

Quatre  conditions principales devaient être remplies :

  • La contribution devait obligatoirement avoir fait l’objet d’une fixation judiciaire
  • Les ressources des parents ou le mode de garde avaient évolué
  • Les parties produisaient toutes pièces justificatives
  • Aucune instance n’était en cours devant un Juge aux Affaires Familiales.

Si l’une de ces conditions manquait ou si « la complexité de la situation financière de l’une ou de l’autre des parties ne permet pas l’application du barème , la demande devait être rejetée »

Les contestations devaient être présentées devant le Juge aux Affaires Familiales, qui avait même le pouvoir de suspendre la mesure si elle était « susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives » (ce qui n’était pas la moindre bizarrerie de ce texte…)

Le Conseil Constitutionnel a fort heureusement censuré ces dispositions dans une décision rendue le 21 mars 2019.

Les critiques faites au texte par les parlementaires qui avaient saisi le Conseil Constitutionnel étaient diverses.

Il n’avait échappé à aucun d’eux qu’il y avait une sorte de conflit d’intérêt : en effet, les CAF, qui pourraient désormais fixer les créances alimentaires, sont également chargées de verser des allocations de remplacement (l’allocation de soutien familial, quand le parent créancier ne reçoit rien de l’autre parent ) et à les recouvrer auprès des débiteurs défaillants.

 Au vu de ce rôle spécifique, les CAF ne présentent pas des garanties d’impartialité et  d’indépendance suffisantes.

Les parlementaires invoquaient également la méconnaissance par ce texte  du droit à un recours juridictionnel  effectif, du principe d’égalité et celle des droits de la défense, du principe du contradictoire et de la séparation des pouvoirs.

Le Conseil Constitutionnel a entendu ces arguments, puisque il a censuré l’article 7 de la loi, comme contraire à la Constitution, car « alors même que les décisions de révision prises par les caisses pourraient faire l’objet d’un recours devant le juge aux affaires familiales, le législateur a autorisé une personne privée en charge d’un service public à modifier des décisions judiciaires sans assortir ce pouvoir de garanties suffisantes au regard des exigences d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 »

L’Avocat est satisfait. Non parce qu’il va garder un contentieux – car il faut le rappeler, les procédures concernant les modalités d’exercice de l’autorité parentale peuvent être engagées par les parties sans l’assistance d’un Conseil – mais parce cette disposition de la loi fermait la porte de toute appréciation individualisée de la situation des parties.

 Il s’agissait de prendre des revenus et d’appliquer un barème national. Mais les charges de logement, par exemple, sont très différentes – à revenu égal – entre un habitant de Paris et un habitant de Verdun.  

 Les Juges ont l’habitude, même s’ils ont de plus en plus recours au barème publié sur le site justice.fr d’écouter les parties et d’intégrer dans leur décision  tous les éléments qu’on leur soumet. Par exemple, le Juge tiendra compte du coût engendré par les  voyages allers-retours de celui qui n’héberge pas l’enfant quand il le prend en weekend ou en vacances.  

Rien de tout cela s’il n’y a plus de débat et qu’il n’est question que  de « barème » et de « forfait ».

Le Conseil Constitutionnel a censuré l’article 7 au nom des principes. On s’en réjouit, même si c’est pour des considérations purement économiques.